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Le Plateau 7 - Des artistes et des chevaux

Dernière mise à jour : 23 juil. 2021

Le Plateau 7 ne figurait pas sur mon itinéraire. Mais malgré le froid polaire et l'annulation des concerts, je ne regrette absolument pas mon passage. Shakira, ski nordique, PSDRF, érotisme, crêpes et Sherlock Holmes... Plus ça va, plus ça devient n'importe quoi ce journal de bord !


Le Plateau 7 se définit comme un atelier et un laboratoire de fabrication de spectacles. Situé sur la commune de Montselgues, juché à environ 1000 m d'altitude dans les Cevennes ardéchoises, l'ancienne bergerie est un lieu d'accueil, de création, de diffusion où "l'artistique rencontre l'agricole", où on peut créer sans aucune restriction. L'accueil y est chaleureux et donne envie de poser ses bagages quelques jours. Une chose est certaine, il faut absolument découvrir ce lieu : la vue que l'on a sur les montagnes ardéchoises est parmi les plus belles qu'il m'ait été donné de voir. DECOUVRIR LES TEMOIGNAGES DE LAURENT ET BEATRICE DU PLATEAU 7.



Une journey posey


Il est 8h, je me réveille doucement au fur et à mesure que la température monte dans le van. Le soleil fait quelques apparitions et ses rayons percent à travers les rideaux. Je suis toujours seul sur cet emplacement et j’entends couler la Fontaulière plus bas. La journée va être belle. Ça fait un moment que je ne me suis pas lavé et la douche m’appelle. A l’abri de potentiels regards derrière le camion, j’actionne la douchette et me crispe un peu : l’eau est glacée ! Habituellement, à cette période, l’eau stockée dans les bidons se réchauffe mais cette année, l’été ne semble pas vouloir arriver. Malgré les poules sur ma chair, se laver en pleine nature reste parmi les moments les plus agréables de la vie en van. Je me sens régénéré et paré pour la journée ! Tant qu’il ne fait pas trop chaud, je décide de prendre un moment pour écrire quelques lignes. Au final, je ne m’arrête pas et à 14h, je mets enfin un point final à ma prose. Je sors du van et m’étire ; si j’ai tout le confort nécessaire, l’installation n’est pas des plus adaptée pour l’écriture. Pour autant, je n’échangerai ma situation pour rien au monde.


Le frigo est quasiment vide et j’improvise une salade frugale. Il faudra que je fasse des courses sur la route tout à l’heure. Plus tard, je descends à la rivière et retrouve l’endroit où j’avais installé mon hamac l’année précédente. Fixer les cordages demande un peu d’habileté ; l’endroit est recouvert de ronces et d’acacias. Je m’en tirerai avec quelques égratignures. Sur l’autre rive, des gens se baignent mais ne semblent pas rester très longtemps dans l’eau. Je me risque à y mettre les pieds, puis les jambes et finalement tout le corps. Je n’irai pas nager non plus ; ma peau semble piquée de multiples petites épingles. Ce hamac est probablement l’un des meilleurs cadeaux que l’on m’ait faits. Il ne prend pas de place, s’installe et se replie très facilement. Et même s’il m’a valu quelques mésaventures, s’y glisser et se laisser bercer reste un plaisir quasiment inégalable. Mais il ne faut pas que je traine. Demain matin, j’ai rendez-vous au Plateau 7 et je ne sais pas encore où je dors ce soir.



Putains de mouches


« Waka waka » (Shakira)

Vers 17h, je reprends mon voyage. Je remonte l’Ardèche en direction du Puy en Velay. La route ne cesse de monter. Sur le chemin, j’aperçois un primeur et en profite pour acheter de quoi manger les 2 ou 3 prochains jours. La déception est grande : il n’y a pas de pistaches ! J’opte pour des olives sur les conseils du vendeur avec qui nous échangeons quelques banalités sur le match du soir : - « On ne méritait pas d’aller plus loin de toute façon ». – « Personne ne s’attendait à cette finale mais elle promet d’être belle ». – « C’est sûr ». J’avoue que j’avais complètement oublié la finale de l’Euro. Peut-être la regarderai-je ce soir. Après La Chavade, je prends la direction du Col de Bez. La petite route vient d’être refaite et le van semble prendre autant de plaisir que moi à l’emprunter. A mon grand étonnement, je vois sur ma droite un chalet qui indique « Domaine Nordique de la Chavade ». L’Ardèche est décidément surprenante ; en même temps, il faut dire que je suis à 1 500 m. J’apprendrai plus tard que, dans les années 80, la petite station constituait un lieu particulièrement privilégié pour les habitants des Vans.



D’après park4night – que j’utilise pour trouver des emplacements où dormir – le spot n’est plus très loin. Sur les collines dominent de nombreuses éoliennes. Sur le petit chemin enherbé, je croise des randonneurs avec un âne. Avec ma maison motorisée, j’ai le sentiment de faire un peu tâche dans le paysage. Le spot est plat, la vue dégagée et le soleil donne juste devant moi. Je suis visible de la route mais peu importe ; si je dois partir, je partirai. Les mouches et les taons s’agglutinent sur la carrosserie dans un bourdonnement stressant. Je n’ose pas ouvrir la porte latérale. Je m’y résous finalement – je ne vais pas rester dehors à les regarder – et installe mon petit campement. Une bière, des olives et ma guitare. Sans les mouches qui colonisent mes mollets, le moment est presque idyllique. Il est un peu plus de 21h quand je commence à frissonner. Je suis encore en shorts et à cette altitude, je me vois obliger d’enfiler un pantalon. Les pâtes réchauffent mon corps pendant que le match me divertit. Je ne suis pas particulièrement emballé car je n’ai d’affinités avec aucune des deux équipes. Prolongations et tirs-au-buts. Dieu que ce match est long et insipide. Pourtant je regarde jusqu’au bout. Brava Italia I suppose. J’arrête la diffusion et m’endors aussitôt.



Dans le brouillard les souvenirs du PSDRF


« Un jour, je prendrai ta place » (Eugénie)

J’émerge dans une purée de pois. La nuit, le van a tangué et la pluie a battu la carrosserie. Laurent, du Plateau 7, m’appelle et nous convenons d’un rendez-vous dans la matinée. Sûrement que la route doit être belle mais on ne voit pas à 50 m et c’est à peine si je distingue les bas-côtés. Je roule prudemment d’autant plus que les épingles, étroites, s’enchainent. Je passe la forêt des Chambons et le massif du Tanargue ; enfin, d’après ce que les panneaux m’indiquent car je ne distingue aucun arbre. Il y a certains endroits en France que je connais bien sans jamais y avoir mis les pieds. C’est le cas de cette réserve biologique que je n’ai pénétré qu’au travers de l’analyse de données de terrain. Il y a encore quelques mois, je coordonnais un observatoire des forêts localisées dans les espaces protégées. Avec ma collègue Eugénie, nous formions notamment les gestionnaires – forestiers ou d’aires protégées – à l’application d’une méthode scientifique répondant au doux nom de PSDRF (pour Protocole de Suivi Dendrométrique des Réserves Forestières). Une autre vie, déjà. Pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir un peu de nostalgie. Ces treize dernières années ont tout de même été jalonnées de beaux souvenirs.



Les Beaux-Arts en résidence


Arrivé à Montselgues, je suis les indications de Laurent et au bout de 3 km, je me garde devant l’ancienne bergerie réhabilité en lieu culturel alternatif. Il fait froid et humide. A l’intérieur, quatre tables sont occupées par quelques personnes. – « Je viens voir Laurent ». Mano qui m’accueille n’est pas au courant de ma venue et m’apprends que Laurent n’est pas encore arrivé. Pour patienter, il me propose un café et une part de gâteau à la châtaigne. Trop bon. A l’une des tables, deux acolytes de Mano – Guihem et Garance – engagent un duo clavier / voix un peu psychédélique. Un autre – Luciano – est plongé devant un logiciel compliqué de montage vidéo. J’apprends que le petit groupe est composé d’étudiants des Beaux-Arts de Cergy-Pontoise. Ils sont en résidence au Plateau 7 pendant deux semaines. Ils sont aussi privés de tabac depuis la veille et je mets mon paquet, plein, à disposition du groupe, et en particulier de Mano et d'Anna. Il est 11h, Laurent n’est toujours pas arrivé, je décide de m’installer à une table pour avancer sur l’analyse des lieux que j’ai visité depuis mon départ, il y a tout juste une semaine.



La Rosalie des Alpes


« Elémentaire mon cher Watson » (Sherlock Holmes)

En face de moi, Annissa est rivée devant son ordinateur et je distingue les contours de QGIS, un logiciel de géomatique que j’ai utilisé à de rares occasions dans le cadre de mon ancien travail. Tel Sherlock Holmes qui viendrait de résoudre l’énigme d’Irène Hadler, j’annonce : - « Toi, tu n’es pas au Beaux-Arts ». Quelle perspicacité ! Anissa est en BTS GPN (pour Gestion et Protection de la Nature) et son stage à la Communauté de Communes consiste à recenser les populations de Rosalies des Alpes, (un magnifique coléoptère protégé souvent associé aux vieilles forêts de hêtres) dans les Espaces Naturels Sensibles du Département. L’occasion rêvée d’étaler ma science sur les protocoles de suivis scientifiques.



Lectures et froid polaire


Ce midi, c’est couscous saucisses. Je suis vraiment très bien accueilli par cette petite bande qui me questionne sur mon projet. Tous semblent sincèrement intéressés et je prends plaisir à leur expliquer le cheminement qui m’a amené jusqu’à eux. L’après-midi, toujours aucun signe de Laurent. Tant pis, j’avance. Je reste scotché à ma chaise pendant trois bonnes heures, sans quasiment lever la tête de mon écran. En face de moi, Mano nous fait écouter la musique sur laquelle il est en train de travailler. Loin de me déconcentrer, ses sonorités rythment ma réflexion et mon écriture. Mon corps commence maintenant à s’engourdir. Dehors le temps est à l’orage et, malgré les trois couches de vêtement, l’humidité s’engouffre jusque dans mes os. Mes mains sont glacées et un mal de tête commence à poindre. Sympa l’été en Ardèche ! Au retour d’une partie du groupe, une séance de lecture s’improvise. Mano nous livre un texte très intime et nous nous sentons privilégiés de l’entendre. Lorena, de sa douce voix aux accents d’Amérique du Sud nous fait découvrir son texte. Ça parle d’eau ; ou plutôt d’O, comme le nom de ce collectif de jeunes artistes, tous plus attachants les uns que les autres.



Les crêpes c’est la vie


« Ça se fait des crêpes aux piments ? » (Guilhem)

Laurent arrive vers 19h. Du fait des conditions météo, il a dû se résoudre à annuler le concert de ce soir. La veille, la programmation du Plateau avait pourtant bien démarré avec BABEL, que j’ai eu la chance de voir au Moulinage de Chirols. Il se sert un blanc, m’offre une bière et profitons de l’absence de pluie pour nous installer sur les tables en bois dehors. Je me gèle littéralement le cul mais parviens à emmener Laurent, très affable, dans mon étude. Au bout d’une heure, nous avons fait le tour de ma grille d’entretien, que j’ai un peu réduite, tant le froid me transperce de toute part. Retour à l’intérieur. Annissa s’est lancée dans la confection d’une pâte à crêpes. Afin de profiter de la chaleur des plaques de gaz, et parce que je me sens redevable un peu, je propose de m’occuper de la cuisson. Je me réchauffe doucement pendant que les autres inventent des recettes de crêpes salées dont je n’ose même pas me souvenir.



Le lit, la montagne et la carotte


Le ventre bien rempli, nous nous installons tous devant l’ordinateur pour visionner le film – ou plutôt le documentaire de performance – réalisé par le groupe et monté dans la journée par Luciano. Sur l’écran, le plan fixe d’un lit posé en pleine Nature. Toutes les quinze minutes, les étudiants s’y relaient. Pour simplement dormir, parler, se chatouiller ou jouer de la guitare. J’avais prévenu le groupe que je ne tiendrais probablement pas pendant les deux heures du film ; il était plus de 22h30 quand Luciano l’a lancé et mon corps ayant fait de la résistance toute la journée, il s’en fallait de peu que je ne ferme déjà les yeux. Pourtant, je n’ai pas quitté ma chaise jusqu’à ce que la nuit fasse son apparition sur l’écran. Poétiques voire parfois érotiques, je ne voulais rater aucune des scènes qui se déroulaient sur ce lit. Deux heures de contemplation que je ne regrette pas d’avoir pris sur mon sommeil. La nuit, l’orage gronde mais rien, absolument rien, ne pourrait me tirer du trépas dans lequel je viens de tomber.



La tournée des copains


Avant de quitter Montselgues le lendemain, je fais un tour avec Laurent sur les terres qui entourent l’ancienne Bergerie. Trois chevaux s’ébrouent dans la pâture et rappliquent près de la clôture au son des seaux de granulés. La vue est splendide. Arrivé à Montselgues et sur la proposition de Béatrice, la femme de Laurent, je m’arrête boire un café. Béatrice semble avoir une capacité à faire mille choses en même temps et en vingt minutes de conversation, elle a lancé une billetterie en ligne pour le concert du 3 août (Massilia Sound System !), étendu une machine, lancé une autre, préparé un lit et servi un café. Son regard sur le Plateau est complémentaire de celui de son mari et je note deux ou trois choses qui me permettront de pousser ma réflexion lorsque j’analyserai le modèle du lieu. Il est 11h45, je dois reprendre la route. Je suis attendu chez Lucas à Saint-Remèze, dans l’autre Ardèche, celle des Gorges et de la lavande. Dans les prochains jours se succéderont des visites aux amis : Lucas donc puis Malick et Mina, dans les Cévennes et enfin Antoine, rencontré au Moulinage de Chirols. Je ne suis pas parvenu à obtenir de nouveaux rendez-vous jusqu’au milieu de la semaine suivant et je suis partagé entre la frustration de ne pas pouvoir avancer et le plaisir de partager des tranches de vie, trop peu nombreuses, avec mes amis. Je suis un éternel insatisfait. Et ça ne me satisfait pas du tout.

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