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Catch, solex et andouillette : atterrissage imminent

Cette fois, c’est la fin. Avant de revenir à Dijon en fin de semaine, je multiplie une dernière fois les arrêts copains et les aventures. La fatigue et le froid s’installent progressivement à mesure que je me rapproche de la ligne d’arrivée. J’engage un sprint final avec la découverte de trois derniers lieux : le Rucher Créatif, Simone et l’Aiguillage. Au programme de cet avant-dernier épisode : Slash, David Guetta, Johnny Hallyday, Starmania, Brassens et Zouk Machine.


  • Le Rucher Créatif est un tiers-lieu installé dans le centre-ville de Troyes, dans l’Aube. D’abord expérimenté dans un petit local, le collectif, âgé de 4 ans, est désormais installé dans un bâtiment de 800 m² ayant notamment abrité une enseigne d’ameublement et de décoration. Au départ, l’idée de faire émerger un espace de travail, de convivialité et d’apprentissage. Un lieu ouvert à tous permettant de regrouper les initiatives autour de la transition écologique et numérique. Multi-usages, on trouve aujourd’hui au Rucher toutes sortes d’activités (coworking, ateliers, conférences, etc.) et toutes sortes de personnes (entrepreneurs, porteurs de projets locaux, etc.). Une cantine végan – la première à Troyes – a également élu domicile au rez-de-chaussée du bâtiment. Un modèle de réussite, une organisation professionnelle, le Rucher Créatif est un espace de travail vivant qui fleure bon l’entreprenariat. Venez découvrir le témoignage de Sidonie (en cours de relecture) !


  • Simone est présenté comme un camp artistique, installé depuis 2015 dans l’ancienne usine Le Chameau, à Châteauvillain, en Haute-Marne. Au départ, le besoin de stocker matériel et décors de théâtre. Puis devant le bâtiment que propose la Mairie, des étoiles dans les yeux. Un projet hybride est imaginé, mêlant les artistes et les habitants qui, très vite, s’approprient le projet. Au départ animé par une compagnie de théâtre (Nie Wiem), une association est constituée en 2019 à l’initiative des habitants. Le lieu incarne le métissage d’activités : café, cantine, épicerie, dépôts de paniers bio, vente directe, ateliers artistiques, vide-dressing, permanence numérique, résidences d’artistes, activités scientifiques, etc. Jamais à Simone on ne met les œufs dans le même panier et c’est ce qui fait sa force. Le collectif, principalement composé de femmes motivées et impliquées, est aussi lucide et droit dans ses bottes. Pas question de céder aux sirènes des financements publics si ça ne sert pas leur histoire et le territoire. Venez découvrir le témoignage d’Anne-Laure (en cours de relecture) !


  • L’Aiguillage est un lieu animé par l’association le Quai des Arts, aujourd’hui installé dans l’ancienne gare de Polisot, dans l’Aube. Point de ralliement de la révolte des vignerons Aubois en 1911, le lieu est aujourd’hui un symbole du renouveau culturel du territoire. Bien qu’ayant obtenu l’accord d’occuper le lieu depuis 2009, l’association œuvre d’abord hors-les-murs, partout où elle pouvait : théâtre, écoles, cafés, etc. L’idée : aller au plus près des habitants, gagner leur confiance. Et ça marche ! L’association est aujourd’hui reconnue comme un acteur culturel quasi-incontournable du territoire. Ateliers culturels, concerts, expositions, etc. le train ne s’arrête jamais au Quai des Arts qui n’en finit pas de tisser sa toile, toujours au bénéfice des habitants. Et l’histoire ne fait que commencer car, les travaux de la gare terminés, le collectif a des idées plein la tête (résidences, coworking, location d’espaces, etc.). Et ce n’est pas la crise sanitaire qui l’arrêtera : dès 2020, l’Aiguillage prend l’air en organisant des concerts tous les weekends de l’été. Inarrêtables ! Venez découvrir les témoignages de Céline et Laurent (en cours de relecture) !



Rendez-vous en terrain connu


Depuis la Puisaye, où je viens de quitter Laurène et le Café de la Poèterie, je prends la direction de Marigny-L’Eglise, dans le Morvan. Le soleil est revenu depuis quelques heures et baigne le bocage environnant de sa lumière chaude de fin d’après-midi. Les noms des villages ne me sont plus inconnus. L’ambiance a changé ; ce n’est plus le même voyage que celui que j’ai démarré il y a plus de deux mois et demi. Chaque jour, l’été s’éloigne et Dijon se rapproche. Chaque jour, les paysages deviennent de plus en plus familiers. Les nuits sont aussi de plus en plus humides et froides. Je ne dors plus sans un sac de couchage supplémentaire ; il n’en faudrait pas beaucoup plus pour que je me décide à mettre le chauffage.


Mon copain Paul


« I don't have gold records at home, or Guns N' Roses posters, or any of that shit. » (Slash)

Pour mon dernier weekend, je rejoins Paul, Maxime, Nicolas, Romain et Gabriel, tous sortis de l’Ecole de Commerce de Rennes il y a un peu moins de 15 ans. Comme Agathe, visitée dans le Tarn-et-Garonne cet été, Paul est un ami d’enfance. Comme pour Agathe, il aura néanmoins fallu attendre nos 16-17 ans pour que nous devenions véritablement proches. – « Tu aimes bien ça la bière ? ». « Oui, j’aime bien ça la bière. ». Tout est parti de là et le Dieu des Brasseurs veille toujours sur notre amitié. Lui, le plus fort et moi, le plus intelligent. La rivalité a toujours été un truc chez Paul. Je lui laissais les muscles bien volontiers et encaissais les défaites au ping-pong, à la course ou à la lutte. Ça m’allait d’être the smart one même si, avec un peu de recul, je me demande s’il ne m’accordait pas aussi ce titre pour ne pas me vexer. Il faut dire que j’avais vraiment un profil de premier de la classe à l’époque. Et pour ne rien arranger les choses, je faisais de l’équitation. Le seum suprême. Je me souviendrai toujours de la tête de ma mère le jour où j’ai remplacé tous mes posters de Cheval Star par les affiches de Guns n’Roses de Paul. Exit les beaux pur-sang arabes la crinière au vent ; tel Anakin Skywalker, je passais du côté obscur de la Force. Le choc.


Bachelor parties


« Je ne fais pas ça pour l'argent, je ne le fais pas pour les ventes de disques, ça m'est égal, je veux juste faire des beats. » (David Guetta)

L’histoire de ce weekend entre copains remonte aux enterrements de vies de garçons de Paul et Maxime, il y a près de dix ans. Organisés dans de grandes villes européennes, nous nous plaisions à imaginer les défis les plus fous que tout futur marié se doit de surmonter dans la tradition bourgeoise ouest-européenne. Même si, à première vue, ce n’était pas mon truc, ces virées entre amis comptent encore aujourd’hui comme parmi les aventures les plus funs de ma vie. Et, surtout, je faisais désormais partie de la bande. Malgré ma nouvelle accréditation, mes copains de droite – comme j’aime les appeler – n’ont jamais vraiment bien compris ce que je faisais dans la vie. L’inverse est assez vrai aussi. Si bien que nous avons toujours simplifié nos métiers à outrance : Paul vendait des croissants, Maxime importait des boîtes en carton et moi, je ramassais des champignons. Du fait de mes belles bacchantes, j’ai également acquis un surnom : Astérix. J’aime bien Astérix. Tous en ont un aussi ; souvent associé à leur double maléfique d’ailleurs. Tony (Paul) aime la bagarre, Margueritte (Gabriel) a un regard bovin passé deux heures du matin, Gérard (Maxime) drague comme au siècle dernier, David (Nicolas) est champion international de Air DJ et Hank (Romain)… Hank est complètement fou !



A l’abordage


« C'est trop calme. J’aime pas trop beaucoup ça. J'préfère quand c'est un peu trop plus moins calme. » (Numérobis / Astérix et Cléopâtre)

Depuis ces virées prémaritales, le troisième weekend de septembre est donc synonyme de retrouvailles et le rendez-vous de cette année est organisé dans le Morvan. Lorsque j’arrive au gîte, Nicolas, Maxime et Paul sont déjà là et m’accueillent avec le sourire de ceux qui savent qu’ils vont passer un bon weekend. Mais déjà la première activité nous attend et, en dehors de Maxime et Nicolas, les organisateurs, personne ne sait à quelle sauce nous allons être mangés. Aux abords du Lac des Settons, les options commencent à se resserrer. Et lorsque nous descendons au centre nautique, c’est la fin du suspens : trois catamarans gréés nous attendent sur le quai. Désormais tous réunis, l’excitation monte malgré un vent quasi absent. Devant nos embarcations, Jean-Robert, les lunettes de soleil vissées sur son visage buriné, se lance dans un cours de voile express : - « La voile, c’est comme le yaourt. Si tu essayes de manger un yaourt avec un couteau, ça ne marche pas. Alors qu’avec une cuillère… ». Merci Jean-Robert, c’est très clair. Sur l’eau, nous avançons à la vitesse foudroyante d’un pédalo. Et encore…. J’en profite pour réexpliquer à Nicolas, mon coéquipier du jour, les bases de la navigation à la voile. A proximité du barrage, c’est la pétole. Pas un souffle de vent ; le catamaran est immobile sur l’eau et nous sommes obligés de pagayer à la main pour le faire virer de bord. Parvenus à hauteurs des autres, nous échangeons de coéquipiers. Il est également temps de mettre un peu d’action sur ce plan d’eau. Depuis le bateau de Paul, Nicolas part à l’assaut de celui de Romain et Maxime. Fail. Désormais seul sur son rafiot, Paul hurle : - « A l’aborrrrdaaaage, à l’aborrrrdaaaaage ! ». La scène, au ralenti, est complètement absurde. Je décide à mon tour de me mettre dans la peau des plus illustres pirates et saute sur l’embarcation de Romain et Maxime. Une lutte sans merci s’engage, les tirs de mousquets fusent de toute part et les sabres fendent l’air du Morvan. Fail again. Au moins, l’eau est chaude.



Old number seven


« Comme dit l’ambassadrice de l’UNICEF en France, ma femme Laeticia Hallyday, pour que le monde aille mieux, il suffirait d’un seul mot : je t’aime. Et ça pourrait changer le monde. » (Johnny Hallyday)

Sur la route du retour, Nicolas nous gratifie de ses découvertes musicales du moment. Il tient notamment à nous faire écouter jusqu’au bout un classique de Johnny, Diego libre dans sa tête, lors de son concert au Stade de France en 2009. A la fin de la chanson, un message d’amur, comme Johnny sait si bien les délivrer. Si je suis tout émotionné, je me promets néanmoins de ne plus jamais laisser Nicolas aux manettes de la musique. De retour au gîte, l’ambiance est détendue. La session de pêche du soir, animée par Gabriel le professionnel et quelques bières, a entrepris de nous désinhiber. La soirée est lancée. Les discussions fusent, les langues se délient. Après le barbecue, les premiers gin to’ signent la fin des confidences. Les hostilités commencent. Déjà, un premier round de lutte sur la pelouse du jardin oppose Tony la bagarre à David Guetta qui finit les deux épaules plaquées au sol. La transition du Gin au Rhum épicé se passe sans heurts et j’ai la main sur la musique. Le calme avant la tempête. Car arrive alors le Whisky hors d’âge. Pour la centième fois depuis vingt ans, j’affronte Paul sur le ring. J’ai pris soin d’enlever mes lunettes et révise la stratégie dans ma tête : viser les chevilles, serrer, le faire basculer et l’empêcher de se relever. Pour la centième fois, je me relève cassé en mille morceaux. Mais je n’étais pas loin cette fois ! Une dernière chute dans les buissons sonne le glas de nos conneries. Enfin, pas pour tout le monde ; car Hank s’est réveillé…



Apologie de la lenteur


« Quand on arrive en ville / Tout l'monde change de trottoir / On a pas l'air virils mais on fait peur à voir » (Starmania)

En me réveillant, j’ai mal, forcément. Tout mon corps me fait souffrir et j’angoisse à l’idée que l’activité de la journée demande de l’énergie. Je note que je ne suis pas le seul. Etonnamment, Romain semble plutôt en forme et, au fond de moi, je me dis que ce n’est pas juste. Maxime et Nicolas font planer le mystère et lancent des sourires en coin. Mais ce weekend semble être dédié à l’éloge de la lenteur. Dans le camion garé à la sortie du restaurant que nous avons rejoint à Saulieu, six Solex rutilants nous attendent. Je me détends. Chevauchant nos destriers de feu, nous nous lançons alors à pleine vitesse – 20-25 km/h – sur les petites routes du Morvan. En file indienne, le bruit de nos engins alerte les autochtones de notre passage ; notre troupe motorisée ne laisse personne indifférent. Au Lac de Chamboux où nous nous sommes arrêtés, Romain repère une sorte de balançoire sur la berge. Pendu par les bras, il teste la solidité de l’ensemble. Apparemment satisfait, le voilà qu’il se déshabille et s’élance avant de retomber dans le lac le sourire aux lèvres. Ni une ni deux, je me débarrasse de mes vêtements et attrape la balançoire. Pas suffisamment téméraire, je m’écrase dans une eau très peu profonde. Mon deuxième saut est plus réussi ; je peux garder la face. De retour au gîte, je n’ai plus aucune énergie et erre entre la terrasse et la cuisine. Pire, je prendrai un Coca à l’apéro. Et si, la guitare à la main, je finis par surmonter ma gueule de bois, je ne rêve que d’une seule chose : dormir.



Latitude 0


« Je suis assez ému, même si je le montre pas vis à vis de mes yeux. » (Moundir / Koh Lanta)

Au petit matin, le temps est froid et humide. Une dernière sortie de pêche et puis c’est rapidement le moment de se quitter. On se serre dans les bras, on promet de se revoir bientôt. Je déteste les départs et tente de faire bonne figure. Mais j’ai le moral dans les chaussettes et la traversée d’Avallon n’arrange rien. Sur mes joues froides coulent des larmes chaudes de souvenirs heureux. Il faut que je marche. Il faut absolument que je prenne l’air. J’ai repéré une courte randonnée, la Butte Montmartre et les Trois Tilleuls, au départ de Vault-de-Lugny. Après une première montée plutôt facile, l’itinéraire bifurque pour suivre une trace. Le sentier est à peine visible et très vite se dessinent devant moi d’imposantes barres rocheuses. Ne voyant pas d’autres moyens d’atteindre le temps gallo-romain sur le plateau, je commence à grimper, glissant et trébuchant à chaque pas. Arrivé au-dessus, je reprends mon souffle. Je dégouline de sueur. Mes lunettes pleines de buées, je peine à retrouver le sentier. D’épais bosquets de noisetiers entravent mon passage et me trempent tout en entièrement pendant que les ronces de chargent de déchirer mes bras et mes jambes. I know how it feels Mike Horn. En réalité, j’ai surtout l’impression d’être un mauvais candidat de Koh Lanta perdu en pleine course d’orientation. Je finis par m’en sortir et retrouve le camion. Mon humeur s’est adoucit ; je me couche apaisé.



Le Rucher Créatif


« La politique, c'est comme l'andouillette. Ça doit sentir un peu la merde, mais pas trop. » (Edouard Herriot)

A Troyes le lendemain, le Rucher Créatif bourdonne de toute part. A l’accueil, on me propose de commencer par une visite des locaux avant de retrouver Sidonie, avec qui j’ai rendez-vous. L’agencement des pièces est agréable même si j’ai davantage le sentiment de découvrir une start-up qu’un tiers-lieu. Sidonie finit par me rejoindre ; elle doit bientôt partir récupérer ses enfants et ne peut me consacrer que 30-45 minutes. Frénétiquement, je note les réponses sur mon clavier, des coquilles égayant mon récit tous les deux mots. Les propos de Sidonie sont clairs, elle ne s’égare pas. Elle est lucide aussi. Bien que le Rucher Créatif constitue un modèle de réussite, on ressent que cela peut vite basculer vers une entreprise business. Malgré mon impression initiale, l’histoire est inspirante et je remercie Sidonie pour le temps qu’elle a pu m’octroyer. Après son départ, je m’installe dans un coin de l’open-space pour mettre mes notes au propre. Devant moi, un des résidents, la cravate serrée autour du coup, engage une conversation au téléphone avec un client. J’ai l’impression de m’entendre quelques mois auparavant, tentant de « vendre » mon projet à de potentiels partenaires financiers. Même langage, même stratégie, même ton mielleux. Beurk. Je sens que ne suis décidément pas prêt à retourner dans l’arène. En partant, je décide d’assouvir un bon vieux fantasme : aller acheter une andouillette « tirée à la ficelle » dans la charcuterie qui, depuis le lancement du label AAAAA, l’a toujours obtenu. Chacun ses fantasmes.


Romaric


« Auprès de mon arbre, je vivais heureux / J’aurais jamais dû m’éloigner de mon arbre » (Brassens)

Ça y est ! Le marathon de la dernière ligne droite est lancé. Un jour, un tiers-lieu. Mais avant de retrouver Anne-Laure à Châteauvillain le lendemain et découvrir le projet Simone, je fais un détour pour passer la soirée chez mon ami Romaric, conservateur de l’ex-Réserve Naturelle Nationale de Chalmessin, aujourd’hui noyée au sein du nouveau Parc National de Forêts. Romaric est un homme discret qui fait les choses sans en faire des tartines. Ses rapports d’étude, que ce soit sur les forêts ou les pollinisateurs font, pour moi, partie des plus agréables qu’il m’ait été donné de lire. Et sa fibre artistique, mêlée à sa passion de l’Ecologie, permet depuis plusieurs années à des centaines de riverains immergés dans la Nature d’assister à des spectacles de grande qualité. Une belle personne, tout comme sa petite famille que je suis très content de rencontrer. Après le diner, je rejoins un spot suggéré par Romaric, sur un terrain du Conservatoire d’Espaces Naturel de Champagne-Ardenne. La lune est pleine ce soir et illumine de sa lumière bleutée l’énorme tilleul à côté duquel je me suis garé. La nuit promet d’être froide. Je résiste encore un peu et préfère pour le moment la bouillotte au chauffage.



Douche froide


« What ? Is it hot ?
- Cold. Damn cold » (Marty et Doc / Retour vers le futur)

Le jour et moi nous levons sous le brouillard. J’ai vraiment du mal à émerger et la simple idée de sortir de la couette me couvre de frissons. Pourtant, je sais ce qui m’attend. Car j’ai oublié hier de profiter de la douche de mon ami et je ne peux décemment pas arriver à mon rendez-vous sans me laver. Ni une ni deux, je saute de mon lit et me déshabille entièrement. Ma motivation ne tiendra pas longtemps et il faut en profiter. Derrière le camion, je prépare serviettes et affaires de rechange. La brume me protège pour le moment des regards des agriculteurs qui s’activent dans le champ voisin. J’actionne la douchette. Au contact de l’eau glacée sur mon corps, je résiste pour ne pas hurler mais laisse quand même échapper de ridicules petits sons d’effroi. Et puis je m’y fais. Je parviens même à éprouver un certain plaisir. Plaisir amplifié quand, une fois rhabillé et au sec, je déguste ma première gorgée de café brûlant. La journée peut démarrer.



Simone, camp artistique


« Un chameau, c'est un cheval dessiné par une commission d'experts. » (Francis Blanche)

Plus tard dans l’après-midi, je me gare devant l’ancienne usine Le Chameau, spécialiste de la botte en caoutchouc. Ici, tout le monde connait quelqu’un qui y a travaillé. Alors que le site représente beaucoup pour les habitants de Châteauvillain et des environs, la Commune, séduite par le projet Simone, a pourtant accepté d’en dédier une partie à des activités artistiques. Et aux vues de ce que j’y ai découvert, ils ne doivent pas regretter leur choix. Il faut dire qu’Anne-Laure, à l’initiative du camp artistique, a tout compris. Les idées sans cesse bouillonnantes, le collectif a su tisser, au travers de milles activités, une véritable toile de solidarité et de convivialité au service des habitants et du territoire. En recherche continue de nouvelles manières de faire, de créer et de partager, le lieu a toujours su s’adapter. Au centre du réacteur, un moteur hybride et organique, principalement activé par des femmes impliquées et solidaires. J’en prends plein la vue. Rarement j’aurais eu un échange aussi inspirant. La compagnie des trois femmes restées après le petit marché de fruits et légumes est également très agréable. Malgré ma fatigue en cette fin de voyage, je ressors avec le plein d’énergie avant d’aborder ma dernière visite. Merci Anne-Laure.


Peurs sur le parc


« Nétwayé, baléyé, astiké / Kaz la toujou penpan » (Zouk Machine)

En sortant de Châteauvillain, je rejoins un spot à proximité d’une épaisse forêt de hêtres. L’ambiance de la sylve toute proche est sombre et glaçante. A quelques encablures du parking, une chouette effraie pousse son cri strident. Pour ne rien arranger, un autre véhicule est garé de l’autre côté du parking. Je n’arrive pas à voir s’il s’agit d’un camion aménagé mais de la lumière sort par les interstices du coffre. La plaque est polonaise. Alors que je n’ai pas, une seule fois, eu peur du voyage, je commence, sans raison particulière, à en ressentir les premiers effets. Mon corps tressaille et j’ai des frissons. Au moment où je me couche, j’entends que le conducteur a démarré le camion ; mais il reste immobile. Pendant dix bonnes minutes, je reste à l’affut d’un changement ou d’un mouvement. Le moteur sera finalement coupé et il ne se passera rien de la nuit. Au réveil, le camion sera d’ailleurs déjà reparti. Devant mon café, je ris de mes propres peurs en organisant ma journée. Avant de ranger mon van dans son garage, je veux qu’il soit le plus propre possible, prêt à repartir. Profitant d’un soleil éclatant, je sors tout ce que je peux sortir et passe au vinaire blanc toutes les surfaces. Je tire également profit de ce temps pour resserrer toutes les vis des meubles qui composent l’aménagement. Depuis quelques jours, j’entends que ça couine et je n’aime pas quand ça couine. L’ensemble replié et rangé, je m’autorise à déguster une bière fraîche, sous le soleil de septembre.



L’Aiguillage


« Take it slow / It’ll work itself out fine / All we need is just a little patience » (Guns N’ Roses)

Presque au bout. Laurent et Céline, de l’Aiguillage, m’attendent en fin d’après-midi. Une partie de moi a hâte que ça se termine. L’autre est impatiente de découvrir une nouvelle histoire. Celle de l’Aiguillage est faite de volonté et de patience. La clé pour que, dix ans après la création de l’association Le Quai des Arts, l’ancienne gare, symbole de la révolte des vignerons Aubois en 1911, devienne un lieu culturel incontournable de l’Aube. Au fil du récit, je me sens transporté. Car, malgré les obstacles, le collectif n’a jamais rien lâché, jamais abandonné l’envie d’amener de la vie culturelle dans le territoire ; quitte à frapper à toutes les portes et à faire rentrer dans toutes les structures un peu d’art, de poésie et de musique. Aujourd’hui, les voyants sont au vert et la gare retrouve une seconde jeunesse. Les efforts payent et je suis sincèrement admiratif du collectif et de l’ensemble des bénévoles qui auront orienté l’Aiguillage jusqu’à ce niveau d’aboutissement. J’ai aussi particulièrement hâte de revenir à l’occasion d’un concert ou quelque manifestation que ce soit et profiter de l’excellente compagnie de Laurent et Céline que je quitte trop rapidement.



Aurores boréales


« You met me at a very strange time in my life. » (Edward Norton / Fight Club)

Sur la route qui me mène à mon tout dernier spot, sur les hauteurs du Mont Lassois, je prends soudain conscience que c’est fini. Un sentiment d’accomplissement m’envahit soudain et je pleure, de bonheur cette fois-ci. Je souris aux larmes, je ris à gorge déployé. Le van conduit presque tout seul ; comme s’il comprenait mon besoin de m’extraire, trente secondes, de la rigueur de la conduite. J’explose littéralement. Je suis allé au bout. J’ai fait ce que j’ai dit que je ferai. J’ai vécu des rencontres formidables, survécu à ma mélancolie. J’ai vu des vieux amis, rencontré de nouveaux. J’ai beaucoup pleuré mais aussi beaucoup ri. J’ai donné et reçu tant d’énergie. Je suis plein, rempli de nouveaux horizons et comblé de paysages incroyables. Seul mon cœur reste vide mais, ce soir, ce n’est pas important. Parvenu au sommet du Mont Lassois, je suis accueilli par un ciel couchant drapé par les rayons du soleil. On dirait des aurores boréales. Au loin, un cerf brâme tout son désir. Comme pour récompenser mes efforts, et au moment de me coucher, je ne résiste plus. Le souffle du chauffage emplit peu à peu la cabine et mon corps. Demain est un autre jour, celui du prochain chapitre de ma vie.




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