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Run Ar Puns – Magique Bretagne – 1/2

Dernière mise à jour : 24 sept. 2021

La Bretagne émerveille et réveille tous mes sens. Je prends enfin le temps, je ne cours plus, je profite de chaque moment, chaque paysage, chaque rencontre. Je découvre aussi l’un des plus anciens tiers-lieux de Bretagne, Run Ar Puns ; un havre de création pour les artistes, une fabrique culturelle de territoire au service de ses habitants. Pourtant, la priorité n’est plus aux tiers-lieux cette semaine, elle est pour moi. Et parce que les routes bretonnes regorgent de multiples surprises, je décide de publier mon récit en deux parties. Dans cet épisode : William Sheller, Hugues Aufray, Apocalypse Now, Les Valseuses et La Compagnie Créole.


Run Ar Puns est une association basée à Châteaulin, dans le Finistère. Installée dans un ancien corps de ferme, l’histoire est ancienne. Quarante-trois ans que le lieu voit mûrir des artistes, quarante-trois ans que le café de Jakez, initiateur du lieu, rassemble les gens. Devenue une scène de musiques actuelles en 1990, la programmation est riche et la renommée de Run Ar Puns s’étend bien au-delà de Châteaulin et du Finistère. Au centre de ses activités, les artistes en résidence sont choyés par un collectif compétent et impliqué. Nombreuses sont également les actions culturelles menées hors les murs. Que ce soit au travers d’ateliers, de concerts croisés dans les écoles, les collèges ou les lycées mais aussi dans les centres médico-sociaux, l’association se met au service du territoire et de ses habitants. En plus du marché bio ouvert tous les mercredis, le lieu devrait bientôt s’enrichir de nouvelles activités : restaurant slow-food, maraîchage, logements dédiés aux artistes, etc. Le tout dans un cadre bucolique qu’on quitte un peu à contre-cœur. Venez découvrir les témoignages de Solenn et Annaïg (en cours de rédaction) !


Vagues mélancoliques


« Quel que soit le temps que ça prenne / Quel que soit l'enjeu / Je veux être un homme heureux » (William Sheller)

Cale de Taden, à six kilomètres au Nord de Dinan. J’ai dormi sur les bords de la Rance. Presque onze heures de sommeil, sans interruption. La veille, l’endroit visité avec mon ami Renaud me paraissait paradisiaque, les rayons du soleil rougeoyant éclairant les falaises arborescentes. Ce matin, le temps est gris et ça sent la vase. Parmi les quelques voiliers amarrés, certains me font l’effet d’épaves. Couvertes de mousses, je sais néanmoins qu’elles feraient le bonheur de mes amis bryologues ; en particulier Séverine, que j’ai prévu de saluer après mon tour de Bretagne. Alors que je longe les bords de la Rance jusqu’à Lyvet, j’ai la tête remplie de mochetés ; des pensées négatives qui agissent comme une brume obstruant ma route. Depuis mon départ, j’ai la sensation de vivre en plein paradoxe ; je vis des moments extraordinaires, je rencontre des gens passionnants et au fond, tout au fond, je ne me sens pas le plus heureux des hommes. Comme pris entre les épreuves des mois passés et l'appréhension des mois à venir. S'ils ont parfois été intenses, rares auront été les moments de lâcher-prise. Ces vagues mélancoliques font parties de mon voyage, de mon apprentissage. Je les franchirai comme je traverse le pays, jour après jour. Bientôt j'espère, la mer deviendra plus calme et je remercierai les vagues de m’avoir porté jusque-là.



Soutien aux tiers-lieux : bonne ou mauvaise nouvelle ?


Sur le sentier du retour, je reçois un SMS de Renaud. A l’occasion du séminaire auquel il participe ces trois jours, il a fait la rencontre d’un philosophe, fin connaisseur des tiers-lieux. La veille, j’ai reçu de certains de mes amis l’annonce que le gouvernement allait injecter 130 millions d’euros pour leur développement. Selon l’interlocuteur de Renaud, le soutien de l’Etat est susceptible de tuer la dynamique des tiers-lieux en les institutionnalisant. Ça se défend. D’un côté, on peut y voir une forme de reconnaissance d’un phénomène de société que beaucoup voient comme les fabriques du Monde de Demain. De l’autre, on peut craindre une volonté de ramener dans le giron de la normalité des initiatives précurseurs d’un modèle alternatif compensant les manquements de l’Etat. Comme un écho aux paroles d’Alban, de la Smalah. Lui ne voit pas d’un bon œil le fait que les tiers-lieux compensent l’absence de services publics, auxquels il croit profondément. Comme un écho aux rencontres des tiers-lieux à but non-lucratif auxquelles j’ai participé en Ardèche. Recourir aux subventions, c’est parfois devoir dévoyer son projet initial, modifier l’histoire pour la faire rentrer dans des cases ; c’est aussi rendre des comptes. Un exercice d’équilibriste pour tous ces lieux que j’ai eu le plaisir de découvrir. Et des choix parfois diamétralement opposés que j’ai hâte d’analyser un peu plus en profondeur.



Mode tourisme activé


« Je pars pour de longs mois en laissant Margot / Hissez haut ! Santiano ! / D'y penser, j'avais le cœur gros / En doublant les feux de Saint Malo » (Hugues Aufray)

Alors que j'étais en quête de lieux à visiter en Bretagne, Renaud m'a été présenté par mon ami Jean-Baptiste, glaciologue passionné. C’est notamment lui qui m'a mis sur la piste du Village de Saint-Thual où le Microscop' Festival battait son plein le weekend dernier. Renaud est super sympa et toujours content de discuter. Il aime aller au bout des conversations et n’hésite pas à pousser ma réflexion plus loin que je l’eusse fait seul dans mon coin. La veille, après une journée de rangement post-festival, nous avons parcouru les rues de Dinan. Des rues pavées bordées de maisons en colombage qui montent et descendent, traversant d’anciens remparts et débouchant sur le port. Magnifique. Le mode tourisme est enclenché, j’ai besoin de prendre du temps pour moi et de mettre mon projet de côté, juste pendant quelques jours. Après la Cale de Taden, que je quitte en fin de matinée, je prendrai la direction de Saint-Malo puis de Dinard. Deux ambiances complètement opposées et avec une préférence assez nette pour la Cité Corsaire. Alors que je parcours les remparts, mes pensées vacillent. Saint-Malo faisait partie des villes où j’aurais pu potentiellement m’installer. Je cherche des yeux le Lycée sur les remparts mais ne le trouve point. Peu importe, c’est du passé ; il ne faut plus y penser. En fin de journée, je repère un spot à proximité de la Réserve Naturelle Nationale de la Baie de Saint-Brieuc. La vue est immense et le vent souffle sur la baie, tachée ici-et-là d’amoncellements d’algues vertes. Ca me rappelle l’Histoire Interdite, l’excellente bande-dessinée réalisée par Inès Léraud et Pierre Van Hove. La cabine tremble dans tous ses compartiments quand je me glisse sous la couette. Le vent ne souffle plus, il hurle, faisant taire les aboiements des chiens de la SPA au-dessus de moi. La nuit sera mouvementée.



Je pue


« Vous sentez cette odeur ? C'est le napalm fiston, il n'y a rien d'autre au monde qui ait cette odeur-là. J'adore respirer l'odeur du napalm le matin. » (Robert Duvall, Apocalypse Now)

Quand j’ouvre la porte latérale le lendemain, le vent n’a pas faibli et il fait toujours aussi gris. Assis devant la baie avec mon café, je tente de méditer, de saisir l’instant présent. Je ne tiens pas cinq minutes ; je suis frigorifié. Je me résous à rentrer dans la cabine et profite du temps maussade pour mettre à jour mon journal de bord. Assis au fond de ma banquette, les jambes repliées sous moi et dans l’ambiance feutrée de ma mini-maison, je me rends compte que je ne sens pas très bon. En vérité, je ne me supporte plus. J’ai pourtant pris une douche il y a deux jours ! Google m’informe de la présence d’un centre aquatique à Saint-Brieuc ; je décide de m'y rendre. A moi les jacuzzis, saunas et hammams ! Après deux mois à me laver dans les rivières ou derrière mon camion, j’ai envie de confort et de chaleur. Pourtant, mes espoirs seront vite douchés ; du fait du contexte sanitaire, seuls les bains sont accessibles ainsi qu’un grand jacuzzi bouillonnant d’eau tiède. Qui plus est, la rentrée n’a lieu que dans deux jours et la piscine est remplie d’enfants qui braillent. Je quitte le centre une demi-heure seulement après y être entré, les cheveux en bataille mais le corps comme un sous neuf. Avant de rejoindre Lannion pour la soirée, je décide de rendre visite aux gestionnaires de la réserve naturelle, dont la maison d’accueil est située de l’autre côté de la baie. Il est 17h30, les bureaux sont vides. Ce n’est pas ma journée.


Fambard et Valseuses


« On n'est pas bien ? Paisibles, à la fraiche, décontractés du gland. » (Jean-Claude, Les Valseuses)

Arrivé à Lannion, je gare le van en plein centre, juste devant Le Flambard que m’a conseillé l’ami Anthony, alias Routard que jamais. Lors de ses errances en stop, il est un jour tombé sur cette petite pépite ; un lieu de rencontres, d’art et de poésie qu’on peut déguster en appréciant une bière. Derrière le comptoir, Marie semble vivre à cent à l’heure ; elle court, elle parle, elle blague. Elle connait tout le monde aussi et le souvenir d’Anthony révèle un beau sourire. Sur la terrasse, j’évoque mon projet avec Yannick et Roberto. Tous les deux parlent d’une voix si douce que je dois parfois tendre l’oreille pour les entendre. Roberto a essayé de monter un tiers-lieu un peu avant le premier confinement. Mais ça n’a pas pris ; il verra plus tard. Et puis honnie soit l’institution et le jargon qui va avec ; les tiers-lieux, c’est compliqué. Même si certains s’en sortent. Yannick est plein de questionnements et s’excuse sans cesse de ce qu’il pense être de la naïveté. Plus tard, après avoir été refoulé des deux restaurants ouverts de la ville – tous complets –, je me résous à faire mon repas de cacahuètes aux Valseuses, dans les hauteurs de Lannion. Également recommandé par Anthony, le troquet est dans son jus ; les habitués aussi. Au bar, un gars tente d’attirer l’attention du patron qui a l’air de ne prêter attention à rien d’autre qu’à son interlocutrice. – « Hey, super playlist ce soir ». Trois fois. Et c’est Herbert Léonard. Il ne faut quand même pas déconner. Je suis fatigué et décide de rejoindre la côte de granit rose pour y passer la nuit. Plus encore qu’en baie de Saint-Brieuc, le vent semble vouloir tout renverser sur son passage. Je rêve de murs en béton et de silence.



La vie en rose


« C'est une île perdue au milieu de l'océan / Un jardin merveilleux, un spectacle permanent » (La Compagnie Créole)

Arrivé de nuit, je découvre de jour que la côte est une splendeur. Et le soleil calme les ardeurs du vent ce matin. Je décide pourtant de rester travailler jusqu’au déjeuner. La chaleur, montante, devient difficile à supporter. Si bien qu'un peu avant 14h, je pars rejoindre le sentier des Douaniers. Plus un nuage, et devant moi, d’énormes blocs de granit dont l’assemblage relève parfois de la science-fiction. A chaque pas, un nouveau point de vue, un nouveau monstre de pierres semblant défier l’immensité de la mer. Des vagues se brisent ici et là contre les rochers qui ne vacillent jamais. J’ai envie de me glisser dans toutes les crevasses, les fentes et les ouvertures ; de visiter les entrailles de ces mikados improbables et d’en déceler leurs secrets. La vue du bleu de la mer se perdant dans les entrelacs rosés me transporte. Au loin, je distingue le chapelet de la Réserve Naturelle Nationale des Sept Iles, où viennent notamment nicher les Fous de Bassan. Je regarde ma montre ; il est 17h et j’ai quasiment deux heures pour rejoindre Châteaulin, où je suis attendu le lendemain. Fin de la récré, les affaires reprennent.



La colline aux puits


Run Ar Puns en Breton signifie la colline aux puits. Depuis que j’ai quitté le canal de Nantes à Brest où j’ai passé la nuit, je n’ai fait en effet que grimper. Le nom n’est d’ailleurs pas réservé qu’au tiers-lieu mais à l’ensemble du quartier ; aujourd’hui, une zone industrielle et commerciale. Situé au bout d’une grande allée, dans un ancien corps de ferme, Run Ar Puns semble isolé de toutes les enseignes qui les entourent. Un havre de culture que je suis très heureux de découvrir, même s’il aura fallu m’y reprendre à plusieurs reprises. L’endroit est en effet considéré comme un des plus anciens lieux alternatifs de Bretagne ; Yannick du Flambard connaissait son existence depuis près de quarante ans ! L’histoire que me révèlent Solenn et Annaïg qui m’accueillent, est d’ailleurs assez singulière. Il y a quarante-trois ans, Jakez L’Haridon, alors âgé de 19 ans, récupère une partie des bâtiments de la ferme familiale. Mais, au lieu d’y élever vaches et cochons comme tout paysan l’aurait fait – en particulier à cette époque –, il décide d’y ouvrir un bar et d’y accueillir des artistes. En 1990, l’association Run Ar Puns est créée et devient une scène de musiques actuelles (SMAC). En 2018, Jakez passe la main et le bar, qu’il tenait encore jusqu’alors, est rattaché à l’association. Au même moment ou presque, son frère met en vente les bâtiments qu’il avait récupéré lors du partage en indivision. Initié par l’association, un financement participatif de grande ampleur permet de recueillir 176 000 euros. Grâce aux 1 400 contributeurs, dont les noms sont affichés sur les murs, un projet de hameau se met en place. Dans trois ans, le lieu s’agrandira d’un restaurant slow food, de terres maraichères et de logements réservés aux artistes. Une nouvelle étape pour un lieu sans cesse en mouvement. J’y ai été pour ma part extrêmement bien accueilli et ai été particulièrement inspiré par le modèle développé par le collectif. Après le repas partagé avec l’équipe et les artistes en résidence, je profite du lieu pour avancer dans la rédaction de mes articles. A côté de moi, la réunion d’équipe bat son plein et je me surprends à les envier. Jusque-là, j'ai toujours travaillé au sein d’une équipe ; et celle au sein de laquelle j’ai évolué ces dernières années me manque particulièrement.



Seul au monde


« Demain le soleil se lèvera, et qui sait ce que la marée peut apporter. » (Chuck Noland, Seul au Monde)

Plus tard, je rejoins la côte, vers Plomodiern, situé entre Douarnenez et la presqu’île de Crozon. Le spot repéré sur park4night est déjà occupé par deux vans et il ne reste pas de places à plat où me garer. Et de toute façon, j’ai envie d’être seul ce soir. De loin, je repère une voiture garée en bord de falaise ; le spot a l’air idéal. Je suis une piste de gravier sur une centaine de mètres et parvient à un petit parking enherbé au-dessus des falaises. L’endroit est encore plus époustouflant que celui que je viens de quitter et il n’est pas répertorié. Seuls cinq mètres séparent le van du vide. Au-dessous de moi, la mer est d’huile. La petite bise frotte la surface de l’eau rendue turquoise par le soleil et fait apparaitre une succession de rides jusqu’à l’horizon. Parmi tous les endroits où je me suis arrêté pour dormir, je crois que celui-ci est le plus beau qu’il m’ait été donné de découvrir. Et pour la première fois ou presque depuis mon départ, je ne regrette pas d’être seul à contempler le paysage qui se dresse devant moi. Comme hypnotisé, je reste immobile, debout, et laisse tous mes sens s’enivrer de l’univers qui m’entoure. Alors que le soleil se couche, je décide de sortir ma guitare de son étui ; les notes de The Stars de Shine Delphi résonnent dans le soleil couchant. Je n’enregistrerai rien ce soir, j’échappe à mon contrôle, je lâche prise. La mer est enfin calme ; merci les vagues.



Dans la deuxième partie de mon récit de Bretagne, je rejoins mon ami Edouard, natif de la région et candidat sérieux au titre du plus beau mulet du monde. Suite au prochain épisode…

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