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Magique Bretagne – 2/2

Dernière mise à jour : 24 sept. 2021

Figure d’apogée, ce deuxième épisode Breton entremêle émerveillement, madeleines de Proust, culpabilité solastalgique, météorite et érotisme. Je vis pleinement et embrasse chacune de mes journées, quelle que soit mon humeur. Je rejoins notamment mon ami Edouard, natif de la région et candidat sérieux au titre du plus beau mulet du monde… Au programme : Le Forestier, Gainsbourg, Casanova, Boris Vian, Céline Dion, Coluche et Bruce Willis.



Privilégié


« Est-ce que les gens naissent égaux en droit / A l’endroit où ils naissent / Que les gens naissent pareils ou pas » (Maxime Le Forestier)

Privilégié. Ce mot me sera souvent venu à la tête depuis le début du voyage. En particulier quand je me réveille devant un paysage naturel, isolé du monde et du bruit. Ce matin, l’ouverture de la cabine me révèle une vue magique. Depuis les falaises où je suis installé, la mer en contrebas vient lécher des roches formées de successions sédimentaires de schistes et de grès. Les couches stratifiées sont par endroits redressées et laissent apparaitre des éperons déchiquetés et coupants. Chanceux diront d’autres. Au-dessous de moi, des grottes marines laissent entrer la mer dans leurs anfractuosités. Les oiseaux marins poussent leurs cris en rasant les flancs de la falaise. Plongeons, goélands, grèbes et mouettes se succèdent devant mes yeux, dans une valse perpétuelle. Pourtant, je ne crois être ni l’un ni l’autre. Mon seul privilège est celui d’être né où je suis né. Pour le reste, ces moments d’émerveillement ne résultent que de choix et tous n’ont pas été faciles à prendre.



A très vite


« C’était tout au bord de la mer / Depuis, j’ai oublié laquelle / Sous le soleil exactement » (Serge Gainsbourg)

La matinée avance. Je croise quelques locaux, soulagés de parcourir leurs sentiers habituels dans le silence qui suit la période estivale. Alors que je me sens comme un étranger, voire comme un intrus avec mon van posé sur les falaises, il n’en est rien. Nos échanges sont agréables, ouverts et nombreux sont les bons plans que je consigne dans mon téléphone. Le soleil, bientôt au zénith, commence à m’abrutir et la luminosité agit comme un filtre qui m’empêche de voir mon écran. Depuis la Côte de granit rose, le temps est en effet magnifique et j’ai envie d’en profiter un maximum. Avant de rejoindre mon ami Edouard sur la pointe Nord de la presqu’île de Crozon, je décide donc d’aller larver sur la plage de Lestrevet, à moins de 5 kilomètres. Avant de monter dans la cabine, je me retourne plusieurs fois, comme pour être certain de n’avoir rien manqué de la vue. A ce moment-là, je ne peux me douter que je serai bientôt de retour sur ces falaises et qu’elles me livreront des moments encore plus inoubliables.



Personne


« Dans l’examen de la beauté d’une femme, la première chose que j’écarte sont les jambes » (Giacomo Casanova)

Vers 18h, j’arrive à l’adresse que m’a indiqué Edouard. Dans le jardin au-devant d’une petite maison, son camion est garé, toutes portes ouvertes. Depuis la porte d’entrée, j’appelle son nom. Pas de réponse. La maison entrouverte, je me glisse à l’intérieur et tombe sur un énorme chantier. Le sol a récemment été démonté et il n’y a aucun meuble. Des fils électriques et du gros matériel de bricolage sont disséminés un peu partout. Dans le jardin situé de l’autre côté, il n’y a personne. Au téléphone, je tombe sur une messagerie. Pas inquiet pour un sou, je m’installe dans le jardin et décide de l’attendre en parcourant mon nouveau livre : les Mémoires de Giacomo Casanova. Ça change de Mike Horn. Un bruit de moteur qui soudain s’arrête me fait revenir sur le trottoir où un autre van se gare, juste derrière le mien. Je ne distingue pas le conducteur, enfin simplement ses jambes. Ce qui me fera dire d’ailleurs qu’il s’agit d’une conductrice… qui se dirige vers moi avec un grand sourire. – « C’est toi Nicolas ? ». Heu… oui, oui. Mathilde est une amie d’Edouard ; il l’a prévenu de mon arrivée. Nous avons à peine le temps d’échanger quelques mots qu’Etienne et Edouard nous rejoignent, le mulet au vent.



Ducasse


« Le curé de Camaret a les couilles qui pendent / Et quand il s’assoie dessus / Elles lui rentrent dans le cul / Il bande » (auteur inconnu)

Je suis très content de retrouver Edouard. Déjà croisé dans le Tarn pendant l’été, j’ai cette fois la chance de partager quelques jours avec lui dans sa Bretagne. Edouard a l’échange facile ; sa compagnie est toujours agréable. Plutôt grand et coiffé d’un mulet qu’on pourrait qualifier de confirmé selon les catégories du championnat d’Europe de la nuque longue, il a une sacré dégaine qui lui colle parfaitement à la peau. Il est lui-même, sans aucun doute. A quatre sur la terrasse du gîte qu’ils ont loué, nous préparons les plans pour la soirée. Les canettes de bière IPA s’accumulent sur la petite table. Alors que les deux cousins sont rincés après deux grosses journées de chantier, la simple idée de se retrouver devant des machines à sous ravive leurs sourires. Au bout d’un moment, je finis par comprendre qu’il ne s’agit pas d’aller au casino mais à la fête foraine de Camaret-sur-Mer ! Après avoir garé les trois camions sur un petit parking en bord de dunes, Etienne nous embarque dans une folle virée au pays des forains, des machines à pinces et des grosses peluches Bob l’Eponge. Les vacances terminées, il n’y a pas grand-monde devant les stands. Dans mon auto-tamponneuse, j’ai le sourire d’un gamin. J’enchaîne les bons virages et tamponne à tout-va. Mes acolytes semblent un peu crispés ; j’apprendrai plus tard qu’ils se sont ruinés les tibias à force d’encaisser les coups. Après le repas, nous restons seuls, Mathilde et moi ; les deux cousins sont partis à l’assaut des machines à sous. Ma partenaire de soirée voyage aussi depuis quelques mois maintenant. La vie en van lui paraît presque trop confortable. – « Sans efforts il n’y a pas de plaisir » m’avouera-t-elle devant son cocktail rhum-cidre. Mathilde rit tout le temps. Je suis au top de l’humour ; enfin, c’est ce que j’aime à penser.


Bain de minuit bioluminescent


« Men should be explorers, no matter how old they are. I don’t know about anybody else, but I’m going » (Don Ameche dans Cocoon)

Revenus au parking où sont garés les camions, nous préparons l’after, installés dans les dunes. Ma bouteille de vieux rhum rescapée, j’en fais allègrement profiter mes comparses. Leur pêche du soir ne leur aura finalement rapporté qu’un petit cendrier en verre ; tout ça pour ça. J’aurais pour ma part gagné un nouveau compagnon : une peluche Winnie l’Ourson remportée au tir à la carabine. Quand j’étais petit, j’étais un crack ; le king des ducasses. Je suis content de voir que j’ai toujours le truc. Au bout d’une demi-heure, Mathilde suggère un bain de minuit. C’est une nuit sans lune et la mer est presque haute. Elle parvient, assez aisément, à me convaincre quand Etienne et Edouard, eux, décident de rester sur la dune. Plus nous approchons de l’eau, moins je fais le malin ; il ne fait quand même pas si chaud. Nus devant le Créateur, nous déposons nos vêtements à une distance que nous jugeons suffisamment éloignée de l’eau. Les premières brasses sont fraîches mais on finit par s’y faire et surtout, chacun de nos mouvements dans l’eau nous émerveillent. Au passage de nos mains, de nos bras ou de nos jambes, des trainées de bulles lumineuses se forment dans le noir de la mer ; un phénomène naturel créé par du phytoplancton bioluminescent. L’instant est magique et, jusque-là, je n’avais eu la chance d’en observer que dans les Antilles, où mon frère s’est installé. Sur la nage du retour, je distingue deux rochers que je ne me souvenais pas avoir aperçu en descendant dans l’eau. Ce sont nos affaires ; trente secondes de plus et elles se retrouvaient emportées par la mer.


Solastalgie


« Demain de bon matin / Je fermerai la port / Au nez des années mortes / J’irai sur les chemins » (Boris Vian)

Ce matin, j’accuse une belle gueule de bois. La bouteille de rhum n’aura pas résisté à nos assauts. Il faut dire aussi que nous avons veillé tard. Il était en effet près de 4h quand nous nous sommes décidés à aller au lit. Je ne prends même pas le temps de déjeuner et embarque, après avoir salué Mathilde, vers Audierne, le fief familial d’Edouard. J’ai une heure et demi de route et nous sommes attendus à midi à la crêperie de ses amis. Installé dans le camion, je me laisse bercer par la route qui serpente de village en village, gravissant parfois de petites collines surplombant des paysages tantôt marins, tantôt ruraux. Machinalement, je branche ma radio sur France Inter et m’informe des dernières actualités. Blablabla covid, blablabla primaire écolo. Et puis de vraies informations : en près de cinquante ans, 68% des animaux sauvages ont disparu ; 30% des espèces animales restantes sont menacées ; le congrès mondial de l’UICN*, l’événement environnemental le plus important au Monde, est organisé à Marseille. D’un seul coup, je m’effondre et des larmes s’échappent de mes yeux. Sans la covid, j’aurais dû intervenir lors de cet événement. Mais ce n’est pas ce qui me bouleverse. L’espace d’un instant, j’ai la sensation d’être un traître, un déserteur. Alors que la biodiversité est à un point de rupture, j’ai quitté le milieu de la protection de la Nature, j’ai abandonné la lutte ainsi que mes collègues qui doivent tous être sur le pont ces jours-ci. Pendant quelques minutes, je me sens comme un égoïste avec mon voyage de saltimbanque pourri-gâté. Une forme de culpabilité mêlée de solastalgie. Je sais aussi que je subis aussi les désagréables symptômes d’un lendemain de soirée trop arrosé.


* L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature



Voile et mains d’artistes


« J’ai sorti la grand-voile / Et j’ai glissé sous le vent » (Céline Dion / Garou)

Arrivé à Audierne et mes larmes séchées, je retrouve Edouard au comptoir de la crêperie. Un peu à l’écart de la vie de la ville et du port que l’on distingue à proximité, l’assemblage des petites terrasses donnent au site une sorte d’ambiance de guinguette. Je commande deux galettes et un coca pour raviver mon estomac. Avec les amis d’Edouard qui nous ont rejoint, nous prévoyons de sortir en mer cette après-midi. Le vent ne souffle pas bien fort pour le moment mais arrivés au centre nautique, nous sommes rassurés ; les manches à air sont quasiment droites. Nous décidons de louer un petit dériveur, sur lequel je naviguerai d’abord seul, ainsi qu’un catamaran pour mes trois comparses. La sensation de glisser sur l’eau, à la seule force du vent, m’avait incroyablement manquée ! Rapidement, je retrouve mes réflexes et borde le foc et la grand-voile pour remonter au vent et sortir du chenal. Les chevilles prises sous les sangles au fond du bateau, je sors les fesses et me penche en arrière, les bouts des deux voiles dans une main, l’autre tenant la barre. Je me sens marin aguerri sauf que j’ai très vite les mains déchirées par le bout de la grand-voile. Sur ce modèle, il n’y a pas de taquet ; rien pour sécuriser la position de ma bôme. Il va falloir que je fasse sans, et sans gants aussi.



« Paré à virer ? » (Mon père)

Je vire de bord pour laisser mes amis me rejoindre ; manœuvre inutile puisqu’ils sont bien plus rapides et me dépassent sans même me regarder. En direction du port, je me mets au travers et tente de faire surfer le voilier sur les vagues. J’essaye de m’employer à redresser le bateau mais il gite fort et je n’ai plus de doigts. Peu importe, je prends un plaisir immense à être en mer, seul sur mon petit rafiot. Plus tard, je laisserai Pété prendre ma place et je rejoindrai le catamaran à la nage. Les sensations sont différentes mais tout aussi agréables ; et ça file ! Par contre, je suis mort. Après la nuit passée et les deux heures de navigation, je n’ai plus de jus. Je lutterai toute la soirée, malgré l’excellente compagnie, et rejoindrai un spot à proximité de Douarnenez assez tôt dans la soirée.



Charlotte et la Corse


« C’est joli la Bretagne, et puis c’est pas loin de la France » (Coluche)

Le lendemain, je me réveille de bonne humeur. En début d’après-midi, il est prévu que je rejoigne Charlotte, rencontrée aux Trans-Cévenoles à la mi-juillet. Je suis vraiment content que nous ayons gardé contact. Je profite du temps que j’ai avant de la retrouver pour travailler. Le temps est brumeux. On ne distingue même pas le port de Douarnenez depuis mon emplacement. Après manger, Charlotte me prévient qu’elle ne partira de Brest que vers 17h et qu’elle ne pourra pas rester bien longtemps. Elle est attendu en début de soirée sur un chantier qu’elle suivra pendant une semaine. Je suis un peu déçu mais le temps s’est levé et j’ai envie de marcher. Depuis la plage de Trez-Bellec, je longe le sentier côtier jusque la pointe de Pen ar Vir. L’eau est turquoise, le soleil tape sur ma nuque. Les quelques photos que je prends des criques sur mon chemin pourraient duper n’importe qui ; je suis en Corse ou en Croatie. Je pense que je suis en train de tomber amoureux de la Bretagne. Charlotte arrivée, nous descendons sur la plage et filons directement à l’eau. La mer nous enveloppe de sa douceur et de son goût de sel. J’aime beaucoup parler avec Charlotte. Elle a une écoute incroyable. Sa prise de recul sur les petites choses de la vie m’aide aussi beaucoup ; tout ce qu’elle dit me paraît tellement intuitif que je me surprends à ne pas y avoir pensé moi-même. Et puis, elle sourit tout le temps elle aussi. C’est fou cette capacité que certains ont à paraître continuellement gais. Je voudrais profiter de ce moment encore un peu mais nos emplois du temps de ministres ne nous le permettent pas. Ça sera pour une prochaine fois, je n’en doute pas.



Douche naturiste et étoiles filantes


Dans les eaux de la mer / On voit des reflets d’or / Quand le soleil s’endort / Dans les bras de la mer » (Yves Duteil)

Cette nuit, je retrouve Mathilde. Comme je savais qu’elle descendait vers Douarnenez, je lui ai envoyé l’emplacement du spot de rêve, sur les falaises. Nos échanges m’indiquent qu’elle serait contente qu’on partage une dernière soirée ensemble, avant que chacun trace sa route dès le lendemain. Aussitôt arrivé, nous descendons vers la mer, redoublant d’attention en parcourant les lignes de grès et de schistes ; une chute pourrait nous envoyer directement aux urgences. A la vue de petits oursins, nous faisons demi-tour. La nuit commence à tomber et il sera bientôt impossible de distinguer le fond de l’eau. Depuis les falaises, le soleil se pare de rouge en descendant derrière le Cap de la Chèvre. Il n’y a personne d’autre que nous et nous profitons de la lumière pour nous doucher à l’arrière de nos camions. Ce sera mon premier coucher de soleil naturiste et sûrement pas le dernier. Alors que nous partageons le repas assis sur l’herbe, le ciel s’illumine peu à peu. Son scintillement nous convainc de dormir à la belle étoile. Emmitouflés dans nos sacs de couchage, nous passons en revue les quelques constellations que nous savons reconnaitre. De temps à autre, nos voix s’exclament en chœur à la vue d’une étoile filante. Je suis toujours autant incapable de faire un vœu, ce qui fait beaucoup rire ma partenaire.


Sea, sex and meteor


« I know we have to go. We can all just sit here on Earth, wait for this big rock to crash into it, kill everything and everybody we know. U.S. government just asked us to save the world. Anybody want to say “no” ? » (Harry S. Stamper dans Armageddon)

Allongés sur le dos, nous pourrions presque nous endormir mais aucun de nous deux ne souhaitent abandonner ce spectacle au sommeil. Et heureusement. Soudain, droit devant nous, apparaît dans le ciel une grosse tâche lumineuse, bien plus importante que n’importe quelle étoile. La boule de feu se dirige droit vers nous, changeant de couleur et grossissant à chaque microseconde. Au moment où elle passe au-dessus de nos têtes, nous nous retournons d’un seul coup pour la voir disparaitre derrière la presqu’île. Nous nous regardons, ébahis, éberlués par l’événement que nous venons de vivre. Jamais nous n’avons vu une chose pareille et il y a de fortes chances que jamais nous ne l’observerons à nouveau. A peine une minute plus tard, une déflagration suspend les mots sur nos lèvres. Un peu bêtement, je me lève pour vérifier si le météore n’est pas tombé sur terre et occasionné des feux ou autres dégâts ; en vérité, je ne sais pas ce que je cherche. Mais rien ; le silence est revenu. Mathilde n’arrêtera pas de dire : - « Non mais c’est dingo, dingo, dingo ! ». Et ça l’est, vraiment. Un peu au fond de moi, je me demande si les dinosaures ont été émerveillé du spectacle qui allait pourtant tous les faire disparaître. Merde, j’ai pensé à voix haute. Impossible de dormir désormais. Et si ça se reproduisait ? Nous attrapons encore quelques étoiles filantes ici et là mais leur ballet paraît banal désormais. Nous tentons de nous rappeler de la vitesse, de la couleur et du bruit du météore. Mais c’est allé tellement vite. Nos regards, de plus en plus proches, se croisent dans la nuit. Il n’y a qu’une seule façon de fêter ce que nous venons de partager, là, sur cette falaise escarpée. Et alors que nos corps dansent avec les étoiles au second plan, peut-être qu’à ce moment, et à ce moment seulement, j’ai de bonnes raisons de penser : je suis privilégié.



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