Dernières étapes de ma traversée des Pyrénées. Du Pays Cathare à Lourdes en passant par les hautes montagnes de Superbagnères, les occasions de revoir des amis seront nombreuses. Et surtout, je découvre un tiers-lieu particulièrement inspirant : La Cafetière d'Aurignac ! Au programme : adverbes, bagarre, fèces, job, gin-tonic et dindon collant.
La Cafetière est un tiers-lieu situé au centre d’Aurignac, en Haute-Garonne. Imaginé par un groupe d’amis, le café a ouvert ses portes la première fois après le premier confinement. Malgré la situation sanitaire, le collectif, sur les starting-blocks, parvient à sortir son épingle du jeu et le premier été rencontre un grand succès. Restauration légère, café, concerts, librairie en dépôt-vente, co-working, location de salles, ateliers participatifs, etc., la Cafetière est un lieu convivial ouvert à tous, un espace de rencontres où se côtoient toutes les générations, une histoire inspirante indubitablement. Aujourd’hui, le café a momentanément fermé ses portes. Pour autant, personne n’est inquiet, le café fait déjà partie du paysage et les nombreuses sont les bonnes volontés à le porter. Longue vie à La Cafetière ! Venez découvrir le témoignage d’Emilie !
Demi-tour !
« J’adore ces routes où quand on se croise, il y en a forcément un qui finit dans le fossé. » (Moi manifestement stressé)
Aujourd’hui, je fais demi-tour. Laurent, que je passe voir les deux prochains jours, habite en effet de l’autre côté de l’Ariège, aux frontières ouest du Pays Cathare. Je reprends donc quasiment la même route que j’ai emprunté pour venir au Relais Montagnard. Mais je n’ai pas le choix véritablement ; je ne repasserai probablement pas dans la région avant un bon moment et Laurent ne me pardonnerait sûrement pas si je ne faisais pas ce détour. Quatre phrases, quatre adverbes. Ça me saute aux yeux alors que je tape frénétiquement sur mon clavier. Cinq du coup. D’après certains de mes amis, c’est un de mes principaux tics ; même quand je parle. Ça et les points-virgules aussi ; j’en mets partout. Simplement, ils s’entendent moins. Six. Merde ! Bref… Après un peu plus d’une heure de route, j’arrive à proximité de Montségur. Mon GPS indique qu’il me reste une quinzaine de kilomètres et que je devrais mettre une demi-heure pour les parcourir. Je me dis qu’il doit y avoir une erreur. Mais non. Soudain, la route se resserre, grimpe et les lacets commencent à faire des nœuds. J’adore ces routes où quand on se croise, il y en a forcément un qui finit dans le fossé.
L’Ours des Pyrénées
Laurent est conservateur de la Réserve Naturelle Régionale du Massif de Saint-Barthélémy, située sur le versant Nord du Pic de Soularac. Je l’ai rencontré au tout début de ma carrière en 2008 alors qu’il s’occupait de la Réserve Naturelle Nationale de la Combe Lavaux – Jean Roland, dans les Hautes Côtes, autour de Gevrey-Chambertin. Affectueusement surnommé l’Ours des Pyrénées, il a décidé il y a quelques années de retourner dans ses montagnes de cœur. La particularité de Laurent c’est qu’on ne sait jamais véritablement si ce qu’il raconte est vrai ou sorti de son imagination. Ainsi, peut-être ne saurais-je jamais s’il a vraiment été professeur d’aquagym… Lorsqu’il était en Côte d’Or, Laurent avait été partie prenante dans l’organisation des deux dernières éditions du Bee’Z Festival à Gissey-sur-Ouche, sa commune d’adoption. Il avait notamment réussi à mobiliser le comité des fêtes du village apportant au festival une véritable dynamique de co-construction entre le collectif et les habitants. Aujourd’hui, Laurent et Cécile – qui s’est lancée avec talent dans l’illustration – habitent une charmante maison au col de la Lauze. Au bout de la terrasse, un promontoire offre une vue dégagée sur les forêts environnantes. J’ai à peine le temps de poser mon sac que nous partons aussitôt rejoindre la maison de la réserve à Montségur, où se déroule un atelier sur la création d’un observatoire photographique.
La Bagarre
« Espèce de vieille folle » (Montségurien passablement énervé)
Devant les bureaux de la réserve naturelle, sur le terrain de pétanque prisé des jeunes du village, quatre tables ont été installées. Sur chacune d’elles, des photos, anciennes et récentes, témoignent de l’évolution des paysages. Certains versants, aujourd’hui entièrement boisés, apparaissent nus sur des clichés en noir et blanc. J’aide Xavier, le garde-animateur, et Marie, en service civique, à disposer l’apéro. Au fur et à mesure que les participants arrivent, les bouteilles et les bols de chips se vident progressivement. L’ambiance est détendue ; rien ne laisse présager l’éruption de violence verbale qui explosera quelques minutes plus tard. En arrivant, j’avais repéré deux personnes, plutôt âgées et masquées, debout derrière la barrière. En décalage avec le groupe, ils semblaient être dans une posture d’observation timide. Or, timides, ils ne le sont pas du tout. A leur première prise de parole – en complet décalage avec le sujet de l’atelier – ils sont renvoyés dans leurs cordes par un ou deux participants : - « Toi, on ne veut pas t’entendre, ne te rapproche pas ou tu es mort » ou – « Espèce de voleuse, vieille folle ». En moins de trente secondes, la tension est montée d’un seul coup. L’ambiance à Montségur semble plutôt délétère… Xavier parvient néanmoins à rétablir l’ordre, les deux excités disparaissent et l’atelier peut se poursuivre dans des conditions normales.
Montée dans la réserve
« Je ne suis pas un arbre, je suis un Ent » (Sylvebarbe, assurément)
Le lendemain, le réveil sonne à 7h30. J’aurais dormi quatre heures. Comme souvent lorsque nous nous voyons avec Laurent, la soirée a duré tard dans la nuit, aux sons du vin et aux bruits des guitares. Puis, nous ne nous étions pas croisés depuis une éternité. La marche qui nous amène dans la réserve naturelle est raide mais je tiens le coup. Je suis d’autant plus méritant que je n’ai pas de bâtons de marche, contrairement à mes deux acolytes qui discutent devant moi. Personnellement, je ne peux pas entretenir une conversation et lutter pour ma survie en même temps ; je resterai quasiment muet jusqu’à l’entrée de la réserve. Nous dépassons une grande propriété forestière ternie par une récente exploitation et parvenons dans une hêtraie aux individus torsadés et aux troncs et branches emmêlés. On peut facilement les imaginer se déplaçant lentement dans la forêt, tels les Ents de l’imaginaire du Seigneur des Anneaux. Ici et là, on distingue le jaune caractéristique de quelques girolles cachées entre les mousses.
Histoire de fèces
« Il faut absolument que je pense à mettre ma crotte au frigo ! » (Laurent, sans gêne aucunement)
La mission de Laurent ce matin est d’ordre scatophile : il est à la recherche de fèces – ou plus trivialement de crottes – du Desman des Pyrénées. Une méthode non-invasive dont les données permettront d’améliorer les connaissances sur le mammifère le plus rare d’Europe. Dans les deux cours d’eau, des sortes de tubes sont installés à quelques mètres l’un de l’autre. Des pierres plates sont disposées à l’intérieur, reproduisant l’un des habitats privilégiés du rongeur fantôme. A quatre pattes dans le ruisseau, Laurent prospecte ses pièges ; comme un plombier agenouillé et tordu en dessous de l’évier de la cuisine. Plus bas, nous croisons un Montségurien avec son fils. Son jeune chiot fait fuir le troupeau de vaches qui paissait près du Lasset, un petit ruisseau qui serpente depuis les sommets jusqu’au village. Laurent est tolérant, cette fois. S’il s’était agi d’autre chose que de vaches, il n’aurait probablement pas eu le même discours. Je remarque par ailleurs qu’il a modifié son accent pour se rapprocher de celui du pêcheur. Sûrement une technique destinée à favoriser l’adhésion ou alors c’est inconscient. Dans tous les cas, ça me fait sourire mais je me garderai bien de lui dire… Dans la voiture qui nous ramène chez lui, je ne peux par contre pas me retenir d’exploser : - « Il faut absolument que je pense à mettre ma crotte au frigo ! ».
La Cafetière
A Aurignac le lendemain matin, le paysage a complètement changé. Des champs dorés et des prés vallonnés verdoyants ont remplacé les montagnes pentues de l’Ariège. Avec Emilie, nous avons convenu de nous retrouver à 10h. Je me sens reposé et surtout j’ai hâte de découvrir La Cafetière. Je trouve une place à deux pas du café et m’avance sous un soleil déjà brûlant. Sur la devanture, un communiqué annonce la fermeture du bar-resto sur fond de passe sanitaire, en décalage avec l’âme du lieu où « on entre sans frapper ». Christophe, souriant, m’accueille. Il a ce petit accent chantant qui va bien avec le paysage et l’architecture de la ville. Sa femme Cécile arrive aussi bientôt, suivie d’Emilie avec qui j’ai déjà échangé à plusieurs reprises. Nous décidons de nous installer sur la table de pique-nique, en contrebas du café. Christophe nous amène café et thé, Emilie a ramené des viennoiseries ; cet entretien ne pourrait pas mieux démarrer.
« La crise te fait prendre conscience que tout est éphémère » (Emilie, prudemment optimiste)
J’aime écouter les deux amies raconter leur histoire mais ce qui me fait le plus sourire, c’est que nous sommes interrompus toutes les dix minutes ; par Jojo d’abord, par Annie et enfin par Françoise qui fait partie de l’aventure. Et bien d’autres habitants ou habitantes du village dont je n’ai pas retenu le prénom. – « Alors, la Cafetière est ouverte finalement ? ». Nul besoin de questionner leur adhésion au tiers-lieu. Les fondateurs sont des filles et des fils du village et ici, tout le monde se connait. Même l’ancienne baby-sitter d’Emilie, reconvertie dans l’accompagnement au DLA*, nous rejoint en fin de matinée alors que démarre le déjeuner de travail où je suis invité à rester. L’objectif est d’avancer dans l’organisation d’un festival itinérant autour de cinq tiers-lieux. Bien que rédigé entre deux bouchées de poulet coco, le relevé de décisions est clair et chacun repart en sachant ce qu’il a à faire. L’entretien se poursuit seul avec Emilie qui m’aura accordé presque une journée entière. Il est 17h30. Je regrette le manque de souplesse de mon emploi du temps car je serai bien resté encore un peu.
* Dispositif local d’accompagnement destiné aux associations de Loi 1901
Famille nombreuse
« Je ne suis pas difficile sur les patates » (Marina, tellement nature)
J’ai découvert la Cafetière grâce à des amis – Fred et Marina – que je rejoins dans la foulée à Encausse-les-Thermes, à moins de quarante-cinq minutes, au sud d’Aurignac. A mon arrivée, la grande maison familiale est pleine de bruit. Pourtant, la famille est loin d’être au complet. Des enfants rient dans les couloirs pendant que les adultes préparent l’apéro dans la cour intérieure. Je reconnais à peine Anouck et Julia, les filles de Fred. Pascal, l’oncle de Marina, commence à me servir un cocktail à base de pousse-rapière et de champagne. Apparemment, c’est la boisson locale et j’aime bien les boissons locales. On me propose ensuite un whisky tourbé ; je ne suis pas forcément amateur mais me laisse tenter. D’autant plus qu’on me précise que ce dernier est très haut sur l’échelle de Richter de la tourbe. Car oui, il existe une échelle de valeur (en ppm – partie par million) employée pour mesurer la quantité de tourbe présente dans le malt. C’est fou, non ?
« 1, 2, 3, 4 ! » (Samuel, très fréquemment)
Après le repas, toute la famille ou presque s’installe pour boire un café ou une tisane sur les marches du perron. Une tradition qui semble perdurer depuis plusieurs générations. De l’autre côté de la route, le débit du Job résonne jusqu’à nos oreilles. Emmanuel Macron n’avait pas tout à fait tort finalement… Je me note de la raconter à ma conseillère Pôle-Emploi. A la demande des filles, je ramène devant la maison mon attirail de saltimbanque pendant que Fred me ramène une bière. Le « set » que je leur propose alors est probablement l’un des plus éclectiques jamais joués. Toutes les générations dansent sur la rue. Alors que les enfants me réclament Bella Ciao pour la vingtième fois, je m’exécute. Ce sera la dernière, même si j’aurais préféré terminer par How Deep Is You Love des Bee Gees. La nuit est fraiche et une bruine commence à tomber pendant que nous faisons le tour du quartier. Françoise, la mère de Marina, me remercie chaleureusement pour la musique ; elle a passé une bonne soirée. J’aurais également bien profité de l’ambiance de cette joyeuse famille. Mais je dois déjà partir car partout où je m’arrête, je ne suis que de passage.
Village Club du Soleil
« Je suis fraiche comme le rosé » (Nodie, hypothétiquement pompette)
J’ai dépassé Bagnères-de-Luchon depuis quelques minutes. L’ascension vers la station de Luchon-Superbagnères louvoie en suivant la Pique, un petit cours d’eau. Dans la seconde partie, les épingles s’enchainent et deviennent de plus en plus resserrées. Autour de moi se dressent parmi les plus hauts sommets des Pyrénées, certains toujours recouverts de neige. J’arrive à un grand parking, perché à quelques 1 800 mètres d’altitude. Au bout, le grand hôtel domine toutes les autres installations. C’est là où je rejoins Nodie, une amie de Dijon, qui expérimente le travail en saison depuis cet été. En tenue de ville, elle me propose d’emblée une petite balade. Elle reprend en effet vers 17h, ce qui nous laisse un peu moins de trois heures pour explorer les environs. La balade du lac lui ayant été recommandé, nous empruntons un sentier en descente derrière la station. Sans carte ni aucune indication spécifique, nous naviguons à vue, en suivant le télésiège du même nom. Alors que les chemins s’effacent et deviennent de plus en plus impraticables, Nodie semble regretter de ne pas s’être proprement équipée. En même temps, qui part marcher en montagne avec des Bensimon ? Le pire, c’est que le lac n’en est pas un ; c’est une retenue d’eau destinée à alimenter les canons à neige et on ne peut pas s’y baigner. Tout ça pour ça. Et il faut remonter maintenant. Cette fois, c’est Nodie qui reste muette : - « J’essaye déjà de vivre ! ».
« A vous ! » (Sophie, exagérément)
Après le spectacle pour enfants préparé par Nodie, le Village Club propose une soirée concert. Après avoir fréquenté une dizaine de lieux alternatifs ces dernières semaines, le décalage est abyssal. J’ai l’impression de me retrouver au Club Med. Des animateurs accrocs à leur micro ambiancent les vacanciers de leur gentille voix : - « La piste de danse est libérée, préparez-vous à accueillir The Superbagnères ». Le groupe mené par Tata Putschy enchaine La Carioca et Marcia Baila avant de donner le micro à Sophie, veilleuse de nuit au Village Club. Ici, tout le monde peut chanter et Sophie se met en scène naturellement. Un Autre Monde de Téléphone puis l’Envie de Johnny ; le tout entrecoupé d’une dizaine de « A VOUS ! ». Son enthousiasme est communicatif et des chœurs soudain se font entendre dans la salle à moitié vide : - « Qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie, qu’on allume ma vie ».
Au revoir là-haut
Tata Putschy reprend la main et lorsque j’entends les premières notes de What a Feeling (Flashdance), je ne peux pas résister et grimpe sur scène. Plus tard, alors que je voulais faire danser la fille, c’est la mère, Patricia, que je ferai finalement tournoyer sur Blue Suede Shoes. Je sais que je passe partout mais j’ai tout de même une pensée pour l’inventeur du Gin Tonic. Merci mec. Le lendemain, Baptiste, un collègue de Nodie équipé comme le petit garçon d’Au Revoir Là-Haut, nous propose de découvrir la Cascade de l’Enfer. Après une bonne heure et demi de marche, nous décidons de nous arrêter à proximité d’un des bassins formés par le cours d’eau. L’eau est glacée mais m’y immerger me revitalise complètement. Je suis prêt pour la prochaine étape. Environ 2h30 de route m’attendent avant de rejoindre mon ami Guilhem dans les Hautes Pyrénées.
Guilhem, Gwendoline et le dindon
Guilhem est un collègue de Fred. Pour simplifier, ils travaillent tous deux pour la Réserve Naturelle Régionale du Massif du Pibeste-Aoulhet, l’une des plus grandes de métropole. Je suis content de le retrouver. Jusque-là, nous ne nous étions croisés qu’à l’occasion d’événements professionnels, même si les soirées l’étaient beaucoup moins. Guilhem et Hélène habitent une petite maison sur le flanc d’une colline et ils sont parents depuis quelques semaines. Son fils est le plus beau, forcément. Pendant l’apéro, nous sommes de temps en temps interrompus par Ludo, le dindon que ses amis lui ont offert. Son aile frotte contre le sol et nous en sentons les vibrations. Impossible de savoir comment il s’échappe de son enclos mais une chose est sûre, ce dindon déteste vraisemblablement la solitude. Après le repas, Guilhem installe Gwendoline sur ses genoux. Gwendoline, c’est simplement le nom qu’il a donné à sa guitare. Malgré le calva, nos hommages à Cabrel et consorts ne sonnent pas aussi bien que nous le souhaiterions vraiment. Peu importe, on est bien, assurément. Soudainement, des éclairs illuminent le ciel de l’autre côté des montagnes, en Espagne. Je dois me résigner ; j’ai un problème avec les adverbes, manifestement.
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